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Stratégies de prise en charge des polypes vésiculaires

Journal de Chirurgie Viscérale • Volume 157 • Issue 5 • October 2020 • Pages 419-427

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Stratégies de prise en charge des polypes vésiculaires
The management of gallbladder polyps

C. Valibouzea, M. El Amrania, S. Truanta, C. Leroyb,
G. Milleta, F.R. Pruvota, P. Zerbiba
Sage-femme, membre du conseil scientifique Audipog
aService de chirurgie digestive et transplantation, université Lille Nord de France, hôpital Claude-Huriez, CHU de Lille, 59037 Lille, France
bService de radiologie et imagerie digestive et endocrinienne, université Lille Nord de France, hôpital Claude-Huriez, CHU de Lille, 59037 Lille, France


Résumé

Les polypes vésiculaires vrais (PVV) sont rares, avec une prévalence dans la population générale inférieure à 10 %. Les PVV, qui présentent un risque de dégénérescence, doivent être distingués des autres formations polypoïdes vésiculaires bénignes qui sont plus fréquentes. Les PPV sont des adénomes et le risque principal lié à leur prise en charge est de laisser évoluer un cancer vésiculaire au pronostic particulièrement sombre. De récentes recommandations européennes ont tenté d’uniformiser la prise en charge des PVV, à partir d’études essentiellement rétrospectives avec de faibles effectifs, amenant à des conclusions d’un faible niveau de preuve. L’échographie abdominale est l’examen de première intention pour le diagnostic et le suivi d’un PVV. Afin de prévenir l’apparition d’un authentique cancer vésiculaire ou de traiter une dégénérescence à une phase précoce, tout PVV de plus de 10 mm, ou symptomatique, ou de plus de 6 mm associé à des facteurs de risque de cancer (âge supérieur à 50 ans, polype sessile, ethnie indienne ou patient atteint d’une cholangite sclérosante primitive) justifie une cholécystectomie. En dehors de ces situations, la surveillance échographique est recommandée pendant au moins 5 ans avec indication à une cholécystectomie en cas de croissance du PVV de plus de 2 mm. La cœlioscopie est une approche possible mais lorsque le risque de perforation vésiculaire peropératoire est jugé trop important, la conversion en laparotomie doit être préférée pour éviter une potentielle dissémination tumorale intra-abdominale. Lorsqu’on suspecte un PVV dégénéré (taille supérieure à 15 mm, signes d’extension locorégionale à l’imagerie), un bilan morphologique exhaustif doit être réalisé pour rechercher notamment une extension hépatique. Dans ces cas, une chirurgie radicale doit être envisagée.
© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés


Summary

Neoplastic gallbladder polyps (NGP) are rare; the prevalence in the overall population is less than 10 %. NGP are associated with a risk of malignant degeneration and must be distinguished from other benign gallbladder polypoid lesions that occur more frequently. NGP are adenomas and the main risk associated with their management is to fail to detect their progression to gallbladder cancer, which is associated with a particular poor prognosis. The conclusions of the recent European recommendations have a low level of evidence, based essentially on retrospective small-volume studies. Abdominal sonography is the first line study for diagnosis and follow-up for NGP. To prevent the onset of gallbladder cancer, or treat malignant degeneration in its early phases, all NGP larger than 10 mm, or symptomatic, or larger than 6 mm with associated risk factors for cancer (age over 50, sessile polyp, Indian ethnicity, or patient with primary sclerosing cholangitis) are indications for cholecystectomy. Apart from these situations, simple sonographic surveillance is recommended for at least five years; if the NGP increases in size by more than 2 mm in size, cholecystectomy is indicated. Laparoscopic cholecystectomy is possible but if the surgeon feels that the risk of intra-operative gallbladder perforation is high, conversion to laparotomy should be preferred to avoid potential intra-abdominal tumoral dissemination. When malignant NGP is suspected (size greater than 15 mm, signs of locoregional extension on imaging), a comprehensive imaging workup should be performed to search for liver extension: in this setting, radical surgery should be considered.
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Mots clés : Vésicule biliaire ; Polype ; Cancer ; Cholécystectomie ; Cœlioscopie
Keywords : Gallbladder; Polyp; Cancer; Cholecystectomy; Laparoscopy


Plan


Introduction

On désigne par « formation polypoïde vésiculaire » (FPV) toutes les élévations de la muqueuse vésiculaire visualisées en imagerie. Parmi ces FPV, on distingue les polypes vésiculaires vrais (PVV) et les « pseudo polypes ». Les « pseudo polypes » sont les plus fréquents (environ 70 % des FPV), principalement représentés par les polypes cholestériques, bénins et ne nécessitent aucune surveillance ou traitement particulier [1]. En revanche, les PVV sont des adénomes à risque de dégénérescence en adénocarcinome vésiculaire de pronostic particulièrement sombre [1—3]. La prévalence des PVV a été variable dans la littérature, estimée entre 0,3 et 10 % [1,4]. Ils sont le plus souvent pauci ou asymptomatiques, découverts fortuitement sur une imagerie abdominale ou sur une pièce de cholécystectomie [5]. Les facteurs de risque de PVV ne sont pas clairement identifiés même s’il semble exister une association avec l’infection chronique par le virus de l’hépatite B, l’obésité et le syndrome métabolique [4]. De rares syndromes génétiques semblent également être associés aux PVV comme l’acromégalie ou encore la polypose adénomateuse familiale qui favoriserait le développement de PVV multiples de la vésicule biliaire selon le même mécanisme génétique à l’origine des polypes colorectaux (mutation du gène APC) [6,7]. Le processus de transformation néoplasique des PVV a été peu étudié mais pourrait suivre la même séquence dégénérative que les polypes colorectaux avec une évolution lente mais inexorable vers le cancer de la vésicule biliaire [8].

La gravité du cancer vésiculaire nécessite de dépister les PVV et d’identifier, parmi eux, ceux à risque de dégénérescence nécessitant une cholécystectomie. En effet, la cholécystectomie systématique pour l’ensemble des PVV n’est pas justifiée du fait de la morbidité opératoire (0,5 à 1 % de plaies des voies biliaires), du faible taux de cancers découverts sur PVV (7 à 8,4 %), et des contraintes médico-économiques plaident plus pour une stratégie de dépistage des PVV à risque de dégénérescence plutôt que pour une intervention systématique [9—11]. Une projection de résultats obtenus dans une série rétrospective a montré qu’une surveillance par échographie associée à une cholécystectomie ciblée pour les patients à risque pouvait prévenir 5,4 cancers vésiculaires pour 1000 patients par an et permettre une économie de plus de $200 000 par an par rapport à une intervention systématique pour tout PVV [5].

La rareté des PVV et la méconnaissance de leur histoire naturelle ont conduit à une inhomogénéité de prise en charge. Dans ce contexte, des sociétés savantes européennes de radiologie abdominale, de chirurgie viscérale et d’endoscopie digestive (European Society of Gastrointestinal and Abdominal Radiology [ESGAR], European Association for Endoscopic Surgery and other Interventional Tech-niques [EAES], International Society of Digestive Surgery - European Federation [EFISDS] and European Society of Gastrointestinal Endoscopy [ESGE]) ont en 2017 élaboré par méthode DELPHI des recommandations de prise en charge des PVV découverts par imagerie [12]. Ces recommandations sont cependant d’un faible niveau de preuve puisque élaborées à partir d’études majoritairement rétrospectives et monocentriques, portant sur de faibles effectifs, et essentiellement pour des PVV larges ou symptomatiques. Toutefois, une étude observationnelle prospective multicentrique néerlandaise débutée en juin 2018 (fin des inclusions prévues en juin 2022) pourrait permettre de mieux comprendre l’histoire naturelle des PVV et ainsi d’affiner les indications opératoires et les modalités de surveillance [13].

Actuellement, ni la taille de 10 mm du PVV ni les moyens d’imagerie ne sont suffisants pour prédire avec certitude le risque de dégénérescence, et le risque d’opérer les patients par excès ou pire d’opérer trop tard au stade de cancer, existe toujours. Nous avons tenté dans ce travail, au moyen d’une revue de la littérature, de clarifier l’attitude de prise en charge d’un PVV de découverte fortuite en imagerie.



Diagnostique positif

L’échographie trans-cutanée (ETC)

C’est l’examen recommandé en première intention pour le diagnostic positif et différentiel d’un PVV en raison de son accessibilité, de son faible coût et de son efficacité diagnostique (100 % d’accord d’experts, faible niveau de preuve dans les recommandations européennes) [12].

 

Une méta-analyse et une revue systématique de la littérature portant chacune sur plus de 15 000 patients ont rapporté une sensibilité et une spécificité diagnostiques de l’ETC de respectivement 84 % et 96 % [14,15]. Des manœuvres positionnelles (décubitus latéral gauche, procubitus) et d’ébranlement de la vésicule sont indispensables pour analyser la mobilisation du polype et identifier d’éventuels calculs associés.

 

En ETC, le PVV se présente sous la forme d’une lésion le plus souvent unique, vascularisée au Doppler, hypo- ou anéchogène, sessile ou pédiculée sur la paroi vésiculaire, immobile au changement de position et sans cône d’ombre postérieur à la différence du calcul (Fig. 1 A) [2,16].

 

L’ETC présente cependant certaines limites :

  • cet examen reste particulièrement opérateur-dépendant et doit donc être répété en cas de doute par un radiologue expérimenté ;
  • pour des PVV infracentimétriques, sa spécificité diagnostique entre un PVV ou une FPV d’une autre nature diminue ;
  • elle peut être difficilement interprétable chez le patient obèse, lors d’interposition d’anses digestives ou de vésicule multilithiasique.
  • Dans les cas difficiles, d’autres examens complémentaires peuvent être utiles au diagnostic.

Si ces avancées ont largement contribué à la réduction e la morbimortalité maternelle et néonatale, certains praticiens français ont alerté, dès les années 1970, sur les effets potentiellement néfastes de ces nouvelles prises en charge, en les jugeant trop techniques, trop standardisées et déshumanisantes. Ce n’est que plus tard, vers la fi n des années 1990, que sont apparues les premières associations de patientes et de professionnels ayant pour but de défendre une naissance plus respectueuse et physiologique [2].


La publication de résultats d’études scientifiques européennes et internationales a révélé la position relativement médiocre de notre pays en termes de santé périnatale. La France se démarquait notamment par des interventions très fréquentes au cours du travail et de l’accouchement (épisiotomie, utilisation d’oxytocine, etc.), sans qu’elles ne soient associées à de meilleurs résultats de santé [3-6].

Les premiers états généraux de la naissance, en 2003, ont été une occasion unique, pour l’ensemble des acteurs, de débattre de « l’insatisfaction des usagers dans l’accès à des pratiques respectueuses du déroulement physiologique de l’accouchement » et de « la médicalisation parfois excessive et systématique » de celui-ci [7]. La mission périnatalité, commandée en 2003 par Jean-François Mattei, alors ministre en charge de la santé, a abouti un an plus tard à la publication d’une série de mesures dans le cadre du plan péri natalité 2005-2007 qui a mis l’accent sur l’articulation nécessaire entre « humanité, proximité, qualité, [et] sécurité » [5,8]. La conclusion était que les professionnels de la naissance devaient modifier leurs pratiques, afin d’enrayer cette surmédicalisation [9]. Une autre option a été de proposer l’ouverture de structures dédiées à la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement physiologique des femmes à bas risque, telles que les MDN.


Place de MDN à l’international


Dénommée midwifery unit en anglais, la première MDN comparable à celles que nous connaissons actuellement en France a ouvert ses portes à New York en 1975. Il en existe aujourd’hui plus de 150 aux États-Unis, 169 au Royaume-Uni, une centaine en Allemagne et 25 en Suisse. En 2019, la Bulgarie et la République tchèque ont également créé leurs premiers midwifery units network, des structures offrant des soins obstétricaux aux femmes en bonne santé, ayant une grossesse unique, au sein desquelles les sages-femmes assument leur responsabilité professionnelle de soins primaires (dits de premier recours) [10].


Selon la distance qui sépare la structure de la maternité partenaire, il est question de alongside midwifery units, adjacentes aux services d’obstétrique, ou de freestanding mid wifery units, localisées à distance des maternités. Implantées depuis longtemps dans certains pays, les MDN ont fait l’objet d’évaluations scientifiques publiées qui ont montré leurs bénéfices : dans ces structures, le recours aux interventions est beaucoup moins fréquent qu’à l’hôpital, avec un même niveau de sécurité qu’en maternité.


En France, huit MDN1 ont été autorisées à fonctionner à titre expérimental, en 2015, pour une durée de cinq ans : six en métropole et deux dans les départements et régions d’outre-mer [11]. Elles sont dirigées par des sages-femmes qui organisent le suivi des grossesses à bas risque, la préparation à la naissance et à la parentalité et les soins postnatals [12,13].


Aucune étude scientifique n’avait été réalisée sur l’ensemble des huit MDN concernant la qualité des soins qui y sont prodigués. Dans une optique d’evidence-based public health decision, il a été décidé de conduire une évaluation basée sur des éléments probants, c’est-à-dire reposant sur des indicateurs pertinents et valides, issus de données fiables et rigoureusement collectées, puis analysées et explorées sur plusieurs dimensions. L’objectif était de déterminer le nombre et la fréquence des femmes ayant accouché en MDN, ainsi que la pertinence, l’efficacité et la sécurité des soins [14,15].  


Évaluation de la qualité des soins en MDN


Une étude nationale descriptive, de type cohorte historique, des femmes suivies pendant la grossesse dans les huit MDN de France et dont l’accouchement était planifié dans ces structures au cours de l’année 2018 a été conduite.


Objectif de l’étude


L’objectif du groupe de travail était d’évaluer les pratiques obstétricales, ainsi que la santé des femmes et des nouveau-nés pris en charge en MDN. Il s’agissait de mesurer rapidement, après le début de l’expérimentation de ces nouvelles structures en France, les effets du changement de paradigme qu’elles initient. En effet, les MDN modifient singulièrement l’offre de soins française en périnatalité en proposant un modèle :

  • patient-centré et innovant, avec une trajectoire qui mixe parcours de soins en ville, en structure et à domicile ;
  • continu, où le suivi médical et les soins sont tous assurés par la même sage-femme ou par un binôme connu de la parturiente ;
  • qui valorise la salutogenèse2, car la promotion de la santé et la prévention constituent les concepts fondateurs de ces structures.

Ce travail s’inscrit dans un contexte international où les pays à haut niveau de ressources ont instauré des MDN depuis longtemps déjà et les évaluent régulièrement à travers de nombreuses publications scientifiques. Il permet de combler une partie du retard que la France accuse dans ce domaine et ouvre des perspectives cliniques et scientifiques nouvelles.


Le groupe de recherche rassemble  des chercheurs en santé publique a ffi liés à des institutions de recherche (équipe de recherche en épidémiologie périnatale, obstétricale et pédiatrique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale U1153-université Paris-Descartes et équipe Sigma-Institut Pascal, Centre national de la recherche scientifique, Clermont-Ferrand) qui souhaitaient réaliser une évaluation scientifique de la qualité des soins prodigués en MDN, et ce, à travers plusieurs dimensions : la pertinence, l’efficacité et la sécurité.


Source et méthodologie


Les données sont issues de la base de données informatisée de l’Audipog [16]. Créée en 1980, cette association a mis au point un dossier péri-natal consensuel associé à une base de données informatisée commune à 200 maternités partenaires françaises. Souhaitant bénéficier de la plate-forme informatique, le collectif des maisons de naissance a développé, avec l’Audipog, un dossier informatisé d’évaluation adapté aux particularités des MDN et renseigné par chaque sage-femme pour chaque femme. L’exhaustivité de la base de données pour recenser les accouchements ayant eu lieu en MDN en 2018 a été vérifiée par comparaison aux registres d’état civil.


La pertinence des soins a été évaluée à partir des caractéristiques des futures mères. L’accouchement en MDN étant réservé aux patientes à bas risque obstétrical, des critères sont appliqués pour orienter vers les maternités partenaires celles qui présenteraient un risque materno-fœtal identifié lors de la grossesse. Le cahier des charges des MDN [17,18] prévoit que ces critères soient ceux définis par la Haute Autorité de santé (HAS). Pour limiter toute situation à risque, le collectif des maisons de naissance a décidé de prendre en compte des critères supplémentaires d’inéligibilité pour un accouchement en MDN : la présence d’un utérus cicatriciel et la grossesse gémellaire bichoriale.


L’efficacité des soins prodigués en MDN pendant le travail obstétrical a été évaluée à partir des critères suivants : la durée de la phase active (définie à partir de 5 cm de dilatation cervicale), l’apparition de pathologies lors du travail, la rupture de la poche des eaux (spontanée ou artificielle), le nombre de touchers vaginaux réalisés, la possibilité de s’alimenter et de s’hydrater, l’utilisation du bain et le mode d’analgésie ou d’anesthésie utilisé. Pendant l’accouchement, elle a été évaluée à partir des critères suivants : la position de la femme et le maintien ou non de la tête fœtale par la sage-femme au moment de la naissance, la durée des efforts expulsifs (en     minutes), l’accouchement dans l’eau, le mode d’accouchement (voie basse spontanée, voie basse instrumentale ou césarienne), l’administration préventive d’oxytocine (encore appelée délivrance dirigée), la réalisation d’une épisiotomie, le poids du nouveau-né à la naissance, l’allaitement maternel à la sortie et la durée de séjour en post-partum.


La sécurité des soins prodigués en MDN a été évaluée à partir des indicateurs de résultats habituels de morbimortalité maternelle et néonatale. Pour la mère , les critères étaient l’état du périnée (intact, déchirures du premier et du  deuxième degré, déchirures du troisième et du quatrième degré, épisiotomie), l’hémorragie du post-partum (HPP) sévère, la transfusion de culots globulaires en cas  d’HPP, le transfert maternel en unité de soins intensifs ou de réanimation, la mortalité maternelle (décès pendant l’accouchement ou la première semaine du post- partum), la réhospitalisation de la mère dans les trente jours pour motif lié à l’accouchement ou à ses suites, et l’identification d’un événement indésirable grave à déclaration obligatoire auprès de l’ARS compétente.

Pour l’enfant, ces indicateurs étaient le score d’Apgar (adaptation à la vie extra-utérine) à cinq minutes de vie, la nécessité d’une prise en charge néonatale immédiate par des gestes médicaux (ventilation, intubation ou injection d’adrénaline), le transfert du nouveau-né en maternité ou en néonatalogie pour raison médicale, la mortinatalité (décès à partir de 22  semaines de grossesse ou lors du travail) et la mortalité néonatale précoce (décès pendant la première semaine de vie), ainsi que la réhospitalisation du nouveau-né dans les trente jours.


L’analyse a été conduite de façon descriptive globale sur le modèle de l’analyse en intention de traiter. Elle a porté sur l’ensemble des femmes éligibles et accompagnées en MDN pendant le travail.


Les résultats ont été rapportés sous forme de pourcentages et de moyennes, avec une description semi-qualitative de certains cas. Parmi les 649 femmes accompagnées en MDN au cours du travail, 506 (78 %) y ont effectivement accouché et 143 (22 %) ont été transférées vers la maternité partenaire. Selon la structure, le nombre d’accouchements en 2018 était compris entre 31 et 112, avec un pourcentage de transferts vers la maternité partenaire qui variait entre 5,2 % et 29 %, soit moins de 0,1 % des naissances vivantes en 2018. 


Pertinence et sécurité des soins


Plus de 99 % des femmes accompagnées en MDN respectaient les critères d’éligibilité ; elles avaient, en général, moins de 35 ans et étaient à 56 % primipares.


Concernant les interventions pendant le travail, les femmes ont été moins de 3 % à avoir une rupture artificielle de la poche des eaux ; plus de 54 % à n’avoir subi qu’un seul, voire aucun toucher vaginal ; 62 % à pouvoir s’hydrater ; près de 47 % à avoir la possibilité d’utiliser un bain d’eau chaude pour soulager les douleurs. Plus de 90 % d’entre elles ont accouché par voie basse spontanée, 6,5 % par voie basse instrumentale et 3 % par césarienne. Une épisiotomie a été réalisée dans 3,3 % des cas, et 31 % des patientes ont reçu une administration préventive d’oxytocine.


La plupart des parturientes (94 %) ont adopté une position autre que dorsale – à quatre pattes (31 %), accroupie ou à genoux (28 %) – et 31 % ont accouché dans l’eau. La poussée a duré en moyenne vingt-deux minutes. L’étude retrouve 77 % de hands-off (pas de maintien de la tête fœtale). Enfin, la durée de travail s’est établie en moyenne à trois heures et douze minutes.


Parmi les critères de sécurité, pour l’ensemble des femmes ayant été prises en charge en MDN, quel que soit le lieu final d’accouchement, l’étude a relevé 1,4 % de HPP sévères, caractérisées par des pertes sanguines supérieures à 1 000 mL, 0,5 % de déchirures périnéales des troisième et quatrième degrés, et 0,4% de réhospitalisation dans le mois suivant l’accouchement. Les complications néonatales ont été très peu fréquentes : 0,3 % des enfants ont présenté une mauvaise adaptation à la vie extra-utérine à cinq minutes de vie, et 1,7 % ont nécessité des gestes de réanimation à la naissance. Un décès néo-natal est survenu (0,2 % ; intervalle de confiance 95 % : 0,0 %-0,9 %).


L’étude a dénombré 6,1 % de transferts postnatals, mères et enfants confondus. Dans 87 % des cas, les transferts maternels au cours du travail concernaient des situations hors contexte d’urgence, principalement pour direction du travail ou prise en charge de la douleur par moyen médicamenteux (type analgésie péridurale). Dans 13 % des cas, des transferts maternels en urgence ont été décidés, avec pour motif principal la prise en charge pour anomalies du RCF. Pour les enfants, les transferts immédiats ou secondaires ont été majoritairement motivés par la mise en œuvre d’un protocole de surveillance de situations à risque (65 %). Dans 30 % des cas, ils ont eu lieu en urgence et principalement pour détresse respiratoire.


Les résultats des enquêtes en population publiées sur les accouchements planifiés en MDN pour des femmes à bas risque en Australie, au Royaume-Uni et, plus largement, dans la méta-analyse de Vanessa Scarf et al.  (au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Norvège, au Danemark et aux États-Unis), nous permettent de situer les résultats des MDN françaises dans un contexte international  [19-21]. À l’exception des issues périnéales, la comparaison des indicateurs de pratique et de sécurité indique qu’il n’existe pas de différence significative concernant les issues maternelles et néo-natales entre les MDN françaises et celles évaluées dans ces études. Ils semblent même meilleurs en France. La proportion des transferts en per-partum est comparable à celle rapportée par l’étude anglaise, pour les mères comme pour les enfants, mais un peu plus élevée qu’en Australie.


La pertinence des soins ainsi que leur efficacité sont donc respectées en MDN, même lors des transferts ; l’issue des accouchements est favorable et les complications peu fréquentes. Mais seule la comparaison avec un groupe de femmes à bas risque ayant accouché en maternité permettrait d’affirmer la sécurité des MDN. Cette étude relève un faible nombre d’épisiotomies et de lésions graves du périnée, ce qui constitue des facteurs importants de satisfaction pour les femmes qu’il serait également important de valider en réalisant une comparaison avec les autres lieux de naissance. 


L’interprétation


L’analyse des critères d’éligibilité indique que les sages-femmes exerçant en MDN ont bien sélectionné des femmes à bas risque de complication obstétricale. Ils doivent toutefois être plus clairement définis au regard des recommandations de la HAS concernant l’orientation des femmes enceintes [22].


L’analyse des transferts et de leurs issues suggère qu’ils sont pertinents. Ils respectent les règles d’éligibilité et ont été validés par le service receveur en termes de qualité et d’efficacité. Les transferts concernent 31 % de primipares et 7 % de multipares, une fréquence comparable à celle retrouvée dans les études inter nationales. La gestion de la douleur par un moyen médicamenteux n’en est pas le motif principal (29 %).


Très peu d’interventions sont réalisées en MDN, les sages-femmes s’inscrivent véritablement dans une démarche de soins de prévention et évitent les interventions iatrogènes. Il convient, sur ce point, de rappeler que ces femmes sont à bas risque obstétrical et que la probabilité que leur accouchement nécessite une intervention était faible.


L’analyse de la sécurité des soins, en comparaison aux autres séries à l’échelle internationale, retrouve des résultats encourageants [23-30]. 


Forces et limites


Ce rapport présente les résultats de la première étude de l’évaluation de la qualité des soins dans les MDN en France. L’exhaustivité des données et les analyses descriptives conduites selon un modèle d’analyse en intention de traiter représentent l’atout majeur de ce travail. Il en va de même du schéma de l’étude, qui limite les biais de sélection et d’indication, et permet d’étudier les transferts [31,32]. L’étude des issues et les conclusions du rapport sont toutefois limitées par l’absence de comparaison avec un groupe de femmes également à bas risque ayant accouché en milieu hospitalier, ces résultats doivent donc être confirmés.


La collaboration avec les usagers et les sages-femmes des MDN a constitué une force pour comprendre, au démarrage du projet, les spécificités de fonctionnement des MDN, d’autant que cette collaboration n’a pas concerné les aspects scientifiques du rapport. Cette vue d’ensemble de la qualité des soins, en abordant la pertinence, l’efficacité et la sécurité en complément des évaluations plus administratives demandées par l’ARS, devrait permettre à la Direction générale de l’offre de soins, au ministère et aux parlementaires de décider de l’éventuelle pérennisation de ces structures sur la base de données probantes, issues d’un travail scientifique rigoureux.


Cette étude a été réalisée à partir de données existantes (base de données Audipog), c’est-à-dire déjà collectées. Les MDN n’étant pas considérées comme des établissements de soins au sens de la loi, leur activité n’est pas enregistrée dans les données médico-administratives (programme de médicalisation des systèmes d’information [PMSI]). Or, il serait bien que ces structures puissent être identifiables et y soient intégrées.


Le cadre strict de l’expéri-mentation implique une surveil-lance rapprochée de l’activité des MDN, organisée par les ARS et les réseaux de santé péri natale. Ainsi, leur activité fait l’objet d’évaluations très régulières ; les transferts et leurs motifs sont systématiquement consignés dans les registres des maternités partenaires (registres des entrées, des hospitalisations et de l’activité enregistrée dans les bases de données hospitalières et dans le PMSI). Ces données sont vérifiables et pourraient constituer une source de validation externe.


Conclusion


L’évaluation des MDN installées dans les pays à haut niveau de ressources a démontré la qualité des soins que les femmes y reçoivent. Selon cette étude, les MDN françaises ont des résultats comparables, en particulier un niveau de sécurité satisfaisant et une très faible fréquence d’interventions. Le Sénat s’est d’ailleurs prononcé, en février 2020, en faveur de la pérennisation de l’expérimentation des MDN [33].


Toutefois, les indicateurs actuels ne permettent pas l’étude de la satisfaction des femmes et limitent celle de la salutogenèse. Des travaux de recherche ayant pour objet de déterminer de nouveaux critères plus pertinents pour l’évaluation de la salutogenèse et de la sécurité des soins devraient être développés [31,32], en menant une étude épidémiologique prospective comparant l’accouchement des femmes à bas risque en MDN et en maternité. Pour optimiser l’organisation de ces structures, une série de préconisations ont été formulées : établir des recommandations pour la pratique clinique sur les critères d’éligibilité et sur les transferts ; ajuster les dispositions législatives et réglementaires à partir d’un processus méthodologique validé ; proposer et financer une étude épidémiologique en population de type cohorte pour comparer les femmes à bas risque ayant accouché en MDN et en maternité.     




Déclaration de liens d’intérêts


Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Notes

En savoir plus

Références

En savoir plus

Remerciements


Les auteurs remercient tous ceux qui ont permis ce travail d’élaboration du rapport sur les maisons de naissance (MDN) en France : les responsables scientifiques, les auteurs, les membres du groupe de recherche, le comité de pilotage, les financeurs et les sages-femmes des MDN ; le collectif des MDN et les usagers ; les sociétés savantes, l’Inserm, le Collège national des sages-femmes de France et le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes ; Gérard Bréart, Béatrice Blondel et Camille Le Ray ; l’Audipog.


Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.


© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

http://dx.doi.org/10.1016/j.sagf.2020.06.011