Métiers de la petite enfance

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Quand l’école s’invite à la crèche

Métiers de la petite enfance ● août-septembre 2020 ● n° 284-285

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Quand l’école s’invite à la crèche

Delphine Jacquin : Auxiliaire de puériculture responsable pédagogique micro-crèche
Micro-crèche Les petits princes, Microcosmos, 5 avenue de l’Océan, 33680 Le Porge, France


Résumé

Certains enfants vivent leur première rentrée à l’école et leurs premières semaines de scolarisation avec beaucoup d’appréhension au vu du changement que cela représente. Pourquoi cette étape est-elle si difficile à franchir ? Pourquoi engendre-t-elle autant d’émotions ? Un accompagnement réfléchi des professionnels de la petite enfance est nécessaire pour pouvoir aborder la rentrée de manière ludique. Tel est l’objectif d’un outil-jeu imaginé au sein de la crèche.
Mots clés : crèche, école maternelle, école 3D, émotion, jeu, passerelle

Plan


Introduction


Le ministère de l’Éducation nationale définit l’école maternelle de la manière suivante : « La mission principale de l’école maternelle est de donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre, affirmer et épanouir leur personnalité. C’est une école où les enfants vont apprendre ensemble et vivre ensemble. Ils y développent leur langage oral et commencent à découvrir les écrits, les nombres et d’autres domaines d’apprentissage. Ils apprennent en jouant, en réfléchissant et en résolvant des problèmes, en s’exerçant, se remémorant et en mémorisant » [1]. Riche programme en perspective…

Nous avons interrogé quelques parents dont les enfants vont intégrer l’école à la rentrée prochaine, afin de connaître leurs représentations de la maternelle. Rares sont ceux à afficher de la sérénité. Leur enfant qui leur paraît si petit, si fragile, sera-t-il assez grand, du haut de ses 3 ans, pour intégrer l’école. Comment va-t-il gérer la transition avec la crèche ? Arrivera-t-il à se sociabiliser ? Sera-t-il assez autonome ? Propre ? Autant de questions qui restent souvent sans réponse et reflètent un état émotionnel fragile mais légitime du parent.

Du point de vue de l’enfant, la représentation est différente. D’une manière générale, il est fier de clamer haut et fort que, bientôt, il va aller à l’école, « parce qu’il est grand maintenant ». Et si on lui demande ce qu’il va y faire, les réponses (lorsqu’il y en a, car certains ne savent pas quoi répondre) sont diverses : « Je vais jouer » ; « Je vais retrouver mon frère ou ma sœur » ; « Je vais apprendre des choses ». Une conception assez réaliste, mais qui ne prend pas en compte tous les changements que cela va impliquer dans sa petite vie d’enfant. De plus, ces affirmations découlent certainement, en amont, d’un discours parental.


Un rôle pour la crèche avant l’entrée en maternelle

En entendant ces questionnements d’adultes et ces réponses d’enfants, nous avons pris conscience du rôle que nous, professionnels de la petite enfance, avons à jouer dans l’accompagnement des tout-petits dans la grande étape qu’est la première rentrée à l’école maternelle, synonyme de transition et de changements (séparation, rythme, collectivité, apprentissages).


Si certains parents ont fait le choix d’un mode d’accueil collectif, c’était souvent dans un objectif d’accompagner la socialisation de leur enfant. Mais soyons réalistes, une classe de petite section avec 25 enfants pour deux adultes (une enseignante et un agent territorial spécialisé des écoles maternelles [Atsem]) n’offre pas la même qualité d’accueil qu’une micro-crèche avec dix enfants pour cinq employés.

En outre, tout est démesuré par rapport à la crèche : la taille des locaux, le nombre d’enfants, le bruit, le rythme, etc. Le tout-petit doit être prévenu de tous ces changements, et les parents doivent prendre conscience de leur importance. Philippe Meirieu, directeur de l’Institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation, précise que « l’entrée à l’école fait, certes, rupture avec la communauté familiale, pour autant elle ne doit pas être vécue comme une violence, un arrachement prématuré, une trahison… mais bien comme un moyen de se développer, de couvrir de nouveaux horizons qui permettront de revenir plus riche, et progressivement de plus en plus libre dans l’espace communautaire, familial et social » [2].

Une rentrée scolaire doit donc être préparée en amont, par tous les acteurs liés de près ou de loin à l’enfant. En tant que professionnels de la petite enfance, notre démarche doit s’inscrire conjointement à celle de l’école.



Les outils mis en place


Les passerelles


Les sessions passerelles sont un partenariat entre la crèche et l’école permettant aux futurs enfants scolarisés de découvrir progressivement la vie à l’école. Cette découverte s’échelonne sur plusieurs visites afin d’optimiser la familiarisation avec les lieux et d’adoucir la transition crèche-école. Il s’agit d’un projet annuel réfléchi en équipe.

Aux enfants, ces temps permettent de visiter les locaux afin de se familiariser avec leur futur environnement. Ils se créent de nouveaux repères spatiaux, retrouvent également des similitudes avec la crèche (des lieux pour jouer, pour manger, se reposer, etc.)

Ils rencontrent les différents maîtres et Atsem qui deviendront leurs nouvelles “figures d’attachement” sur les temps d’école.

Ils partagent aussi des temps communs avec des enfants plus grands déjà scolarisés autour de petits ateliers (danse, comptines, livres, jeux libres, ateliers moteurs ou artistiques).

Pour les parents, ces passerelles sont une transition douce grâce à laquelle ils se préparent psychologiquement au jour de la rentrée.

Ce moment est souvent l’occasion pour eux de faire part aux professionnels de la petite enfance de leurs doutes ou inquiétudes autour de l’entrée à l’école. D’ailleurs, force est de constater que les temps de transmission au retour des journées passerelles sont plus longs et plus riches d’échanges que d’habitude pour le trio parents-enfants-professionnels.

Du point de vue des professionnels de la petite enfance, les réactions des enfants et leur comportement lors de ces temps de passerelle donnent beaucoup d’informations sur leur vision de l’école et leurs appréhensions. Ces temps sont trop courts pour certains, qui se sentent comme des poissons dans l’eau ! Ils peuvent en revanche être bien trop longs pour d’autres, qui se retrouvent à chercher en permanence le regard de l’adulte accompagnateur pour se rassurer, s’agrippent à sa jambe ou lui serrent fort la main. Une proximité physique nécessaire…

Pléthore d’émotions s’entremêlent pour les enfants : joie, tristesse, excitation, angoisse, peur, sérénité. Pas toujours facile pour eux de les exprimer.

Grâce à une observation active des enfants lors de ces temps, les professionnels ajustent leur accompagnement pour mieux cibler leurs attentes, leurs ressentis, et les aider à exprimer leurs émotions. En bref, ces temps leur permettent d’améliorer l’individualisation de leur accompagnement.


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© Micro-crèche Les petits princes


Créer un jeu autour de l’école dans lequel les tout-petits l’imagine peut leur permettre d’exorciser leurs angoisses, de valoriser leurs expériences positives et de devenir pleinement acteurs de cette transition.


La recherche d’une continuité crèche-école : l’école 3D


Les années précédentes, nous avons trouvé que le temps des passerelles était bien trop court pour pouvoir ressentir toutes les émotions des enfants et répondre à leurs diverses interrogations.

Nous partagions certes des temps d’échanges supplémentaires grâce à la lecture de livres spécifiques sur l’école (imagiers ou albums), ou de “simples” conversations à table, mais ce n’était pas suffisant. Par quels moyens pouvait-on, au sein de la crèche, proposer une continuité des passerelles ? En nous concentrant pleinement sur les enfants, individuellement et collectivement, nous nous sommes posé les questions suivantes : qu’aiment-ils faire ? Réponse : jouer. À quoi jouent-ils le plus souvent ? Réponse : la dînette, aux poupées ou à s’inventer des histoires et partir à « la piscine des dinosaures » (comme l’a dit une petite fille à la crèche), par exemple.

Il fallait donc créer un jeu autour de l’école, dans lequel les petits pourraient soit imaginer, soit faire un transfert de leur courte expérience de l’école. Un moyen, peut-être, d’exorciser leurs angoisses, de valoriser leurs expériences positives et de devenir pleinement les acteurs du jeu. Le psychosociologue Jean Epstein l’illustre avec cette affirmation pertinente : « Il y a du sérieux dans le jeu, et peut-être même du jeu dans le sérieux » [3]. Nous nous sommes alors embarqués dans la grande aventure de la construction d’une maquette d’école en 3D.


La conception


Une fois l’idée définie, il fallait lui donner vie, avec un cahier des charges bien fourni :

  • le support du jeu devait être suffisamment grand pour permettre à plusieurs enfants de jouer simultanément sans se gêner, mais pas trop grand quand même pour leur permettre de jouer ensemble s’ils le souhaitaient ;
  • il devait recréer des repères spatio-temporels pour l’enfant (salle de classe, dortoir, sanitaires, cour de récréation, cantine, ou encore la cloche qui sonne, etc.) ;
  • il devait donner à l’enfant l’envie de jouer : univers coloré, objets à manipuler, petits personnages à faire évoluer, toboggan, etc. ;
  • le support du jeu devait être léger, facilement transportable, et lavable ;
  • l’école 3D devait s’intégrer dans le projet pédagogique (respect de l’environnement) et donc être fabriquée à partir de matériaux de récupération (carton, bouchons, etc.) ;
  • et surtout rester simple.

La conception du plateau de jeu nous a été largement inspirée par les enfants eux-mêmes. Plus nous avancions dans sa construction, plus il nous était facile de nous les représenter en train de jouer avec. Sans être pour autant sûrs de rien.


Le jeu avec les enfants


La présentation du jeu a été proposée aux enfants dès le lendemain de la première session passerelle. Ce choix d’attendre une première découverte de l’école s’expliquait par le fait que nous pensions plus judicieux que les enfants aient eu une première image réelle de leur future école. S’ils jouaient d’abord avec la maquette, leur conception des choses pourrait être faussée.

Après la présentation, s’est engagée une interactivité verbale et gestuelle, riche d’idées et productive. Nous avons comparé ensemble ce qui avait pu être vu à l’école et ce qui ne l’avait pas été. Voici en exemple quelques retours : « Il y a beaucoup de monde, il y a des enfants, des petits, des grands, des adultes » ; « On voit la cour de récréation, la classe avec la maîtresse, des chaises, des tables, des lits avec des couvertures, des toilettes, des assiettes, des couverts, un toboggan, un arbre, des dessins, des cartables » ; « Oh, c’est quoi ça ? – C’est la cloche de l’école ». Puis est arrivée la question fatidique, celle que nous avons préférée : « Est-ce qu’on peut jouer maintenant ? »

Nous avons été immédiatement impressionnés par la méticulosité des enfants, leur patience, leur émerveillement, leur esprit d’observation. Alors que certains prenaient le temps de tout regarder dans les moindres détails, d’autres ont eu envie de rapidement investir le plateau de jeu. La classe et tous ses petits accessoires à manipuler ont rencontré un franc succès, ainsi que la cour de récréation avec son toboggan et le dortoir, sans oublier les doudous. Peu ont joué dans la cantine. Quant aux toilettes, les enfants qui portaient encore des couches ont davantage fait évoluer leurs personnages dans cet espace que ceux déjà propres : l’occasion toute trouvée pour reparler de l’acquisition de la propreté !

Les temps de jeu ultérieurs nous ont permis de mettre en avant plusieurs choses :

  • il était parfois difficile de se partager les personnages et les petits accessoires ;
  • le jeu stimulait la motricité fine ;
  • certains enfants ont joué en silence, d’autres étaient plus expansifs, parfois très bavards ;
  • certains enfants ont fait preuve d’imagination : « La maîtresse est fatiguée, alors elle doit s’asseoir  »  ; «  Le bouquet de fleurs est pour la maîtresse  »  ; « Moi, à l’école, j’aurai un cartable violet avec plein de feuilles dedans » ; « Ce garçon a deux doudous, et cette petite fille n’en a pas » ;
  • quelques enfants ont retranscrit des scènes du temps des passerelles : « Ma maîtresse, elle s’appelle Charlotte  »  ; «  Maîtresse, je peux aller faire pipi  ? »  ; ou des personnages qui lèvent le bras pour prendre la parole en classe ;
  • certains enfants ont eu besoin d’être plus brusques dans leurs manipulations, comme tout faire tomber dans la salle de classe par le biais des petits personnages, grimper sur les tables, monter dans l’arbre, etc. Une belle occasion pour nous, adultes, de reparler des règles de la vie sociale avec eux ;
  • on a eu des enfants qui n’ont pas voulu jouer, ou très peu, mais qui ont observé leurs pairs, de plus ou moins loin. Certains étaient plus attirés par les livres sur l’école et d’autres évitaient tout simplement toutes activités ou échanges se rapportant à l’école, en tout cas au sein de la crèche ;
  • rares ont été les moments où seul un enfant jouait à l’école. L’investissement du jeu a été plutôt collectif : regarder l’autre, l’imiter ;
  • le temps de jeu a été très aléatoire selon les enfants.

Cette multiplicité de comportements et d’attitudes prouve l’authenticité de chaque enfant. Cela complexifie notre accompagnement mais nous invite aussi à l’individualiser.


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© Micro-crèche Les petits princes


La classe et tous ses petits accessoires à manipuler ont rencontré un franc succès auprès des enfants, ainsi que la cour de récréation avec sa marelle et son toboggan.


Le projet école : l’heure du bilan


D’un point de vue global, nous avons pu constater un bel investissement de la part de tous les enfants et de leurs parents. Les différents outils mis en place nous ont permis de reparler avec eux de l’école de manière différente, parfois détournée, en prenant du recul et en mettant des mots sur les émotions ressenties.

Les sessions passerelles en partenariat avec l’école restent du point de vue de l’équipe une étape nécessaire dans la découverte de l’institution scolaire, permettant notamment la visualisation des lieux et la rencontre avec les enseignants. Un peu comme une période d’adaptation en crèche… La présence d’une même référente de la crèche sur les trois temps de passerelles a également été un repère aux yeux des enfants et a largement facilité l’organisation des différents temps de visite.

Concernant l’utilisation de la maquette 3D, elle a permis aux enfants de s’exprimer, des plus enjoués aux plus réticents. Elle a pu servir d’exutoire, de défouloir, ou de source d’inspiration et chaque enfant se l’est approprié selon ses envies. À voir si l’année prochaine il ne serait pas plus opportun de la proposer bien avant le temps des passerelles. L’appropriation par les enfants en serait sans doute différente, peut-être encore plus personnelle…

La fabrication avec des matériaux simples a connu quelques limites. Certains éléments à l’origine non détachables se sont vite détériorés, les enfants étant trop tentés de tout toucher. Limiter la casse implique la participation de l’adulte. D’ailleurs, les avis sont partagés dans l’équipe quant à l’intervention de l’adulte dans le jeu : laisser l’enfant évoluer seul laisse souvent émerger plus de spontanéité, intervenir consiste à prendre le risque d’influencer ses actes et paroles. À l’inverse, jouer avec l’enfant ou le groupe d’enfants signifie entrer en relation avec lui. Une nouvelle piste de réflexion à explorer.


Conclusion


Faire sa première rentrée à l’école consiste à écrire une nouvelle page, débuter une grande aventure. Pour être réussie, cette rentrée doit être préparée, en famille, à la crèche et par le corps enseignant. Chaque enfant a son propre ressenti face à cet événement. De la qualité de l’accompagnement qu’il recevra découlera la réussite de son intégration sociale et la qualité de ses apprentissages. Un enjeu énorme… à ne surtout pas sous-estimer.

Notre rôle de professionnel de la petite enfance dans ce projet crèche-école est nécessairement d’aider l’enfant dans la reconnaissance, la gestion et l’acceptation de ses émotions. Rappelons que le développement émotionnel est l’un des apprentissages les plus complexes de la vie. Pour le même objectif, dans les années à venir, il faudra peut-être imaginer une autre démarche, en fonction des enfants concernés.

Enfin, notre fonction d’accompagnement dans la préparation à la première rentrée scolaire doit sans nul doute inclure les parents, en leur apportant, dans un premier temps, une écoute active de leurs questionnements. À nous ensuite de trouver les bons outils pour satisfaire chaque famille, et de les adapter à chaque enfant.



Déclaration de liens d’intérêts


Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

[1] Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. L’école maternelle. 2011.
https://www.education.gouv.fr/l-ecole-maternelle-11534

[2] Cyrulnik B. Boris Cyrulnik et la petite enfance  Savigny-sur-Orge: Éditions Philippe Duval (2016). 479

[3] Espstein J., Zaü Le jeu enjeu  Paris: Dunod (2011). [préface VIII].


© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.melaen.2020.07.011